Lune brisée - Chapitre I - II
Posté : lun. 11 juil. 2005 21:04:47
Froide et lointaine beauté... Présence rassurante, encourageante mais souvent cruelle... Bienfaitrice et exigeante... Douce et violente... Les dieux se complaisent dans la recherche du pouvoir, dans la protection, dans l'anéantissement, dans la reconnaissance enfin. Mais si certains ont droit à des divinités bienveillantes, d'autre à des tyrans ou des êtres dénués de raison humaine, toi tu n'as pas droit à la perfection ignée de Merin, ni à la noirceur abyssale de Salaüel. Tu n'es qu'un jouet dans les bras d'Yllia, elle se saisit de toi, joue avec ta naïveté, te rend plus fort avant de te laisser choir. Tu n'es pas seul mais peut-être puis-je te sauver. Il te faudra franchir bien des épreuves cependant...
Le combat n'est jamais anodin, mais il a souvent deux origines bien différentes, la poursuite de la cause juste, oui celle qui ne peut être aucunement corrompue ou abandonnée à l'adversaire ce monstre ou cet aveugle qui se trompe. Mais bien souvent il ne concerne que la recherche d'un plaisir sanglant pour l'une des parties en présence. Si la première à souvent une fin, l'autre non, l'une donne un arrière-goût amer à la situation, tant d'âmes abandonnées pour une raison obscure ! L'autre ne fait que perdre un peu plus foi en la vie, devenu simple arbre dont on arrache les fruits pour s'en délecter un instant sans une pensée au temps qu'il a fallu pour les faire mûrir.
A présent tu vas comprendre... Regarde ces corps robustes, ces armes, ces armures. Mesures-tu le temps qu'il a fallu pour rassembler cela ? Même toi peut comprendre ce que coûte chacun des guerriers de ton peuple, tente d'imaginer pour les humains... Que vois-tu ? Une plaine verdoyante ? L'autel sur lequel ont été immolés les braves ? Le lieu d'une victoire pour un belligérant quelconque ? Non, bien sur ce que tu vois c'est une offrande à Yllia, le prix à payer à Yllia, le présent offert à Yllia, la volonté d'Yllia, la récompense décernée à Yllia, le but de ta vie envers Yllia, Yllia, Yllia, Yllia...
Les nuages se sont décidés à faire tomber la pluie, non, pas la pluie, une bruine froide et opaque qui constelle l'herbe de gouttes, et donne une teinte délavée au sang sur les corps. Ce fluide vital ne séchera pas. Etrangement, aucune silhouette pour s'occuper des cadavres, les entasser les enterrer ou même les dépouiller. Si pourtant, des mouvements, des bruits étranges... Un groupe de grandes créatures s'affairent autour des corps des hommes, ce bruit... De la chair arrachée et déglutie, des mâchoires qui s'affairent dans une chorégraphie répugnante. Ceux qui festoient en ces lieux ne sont arrivés que fort tard, mais c'était prévu... La naïveté les a quittés. Tous. Leur vision n'a plus de filtre, elle n'est plus faussée. Alors libres et désespérés, ils dévorent.
Tes pupilles s'agrandissent, tu réalises! L'image de ce combat s'estompe en toi, observe la encore c'est ton dernier espoir... C'est terminé à présent, tu vois. Ces guerriers... des proies, ceux là... des prédateurs. Qu'Yllia les bénisse ! Ils l'ont bien servie, n'est-ce pas ? De vrais bons petits tueurs... Et ce que tu vois... ce sont des cadavres, des cadavres à perte de vue ! Ces guerriers promis à une belle mort, ce ne sont que de la chair. Regarde, mes frères s'en repaissent. Satisfait ? Si tu avais agi jusqu'au bout, tu aurais servi ta déesse... et tu serais devenu un tas de chair.
La douleur s'estompait lentement, bientôt il pourrait se mouvoir à nouveau, et quitter cet endroit de cauchemar. Mais le wolfen restait immobile sur le sol, sa main crispée sur le manche d'une arme qui n'existait plus. Sa tête était reposait sur l'herbe, tournée vers le groupe de dévoreurs d'où provenaient les ignobles sons du festin, son regard passait alternativement des cadavres à ces charognards, puis restait suspendu dans le vide. Impossible de dire si les gouttes au coin de ses yeux provenaient du ciel ou non, lui-même l'ignorait. Un dévoreur se tenait assis à ses côtés un rictus de satisfaction aux lèvres. Son pelage noir se détachait de moins en moins de l'herbe, au fur et à mesure que Lahn quittait le ciel. Ses yeux brillaient, de folie ? Plutôt de passion. Il porta encore une fois son regard vers le wolfen inerte, sans réaction. Il continua son récit, sachant qu'il écoutait malgré tout, son âme avait été bien plus blessée que son corps...
Que vas-tu faire ? Tu peux attendre qu'Yllia se dévoile, ce serait une bonne idée, je pense, à moins que tu ne craignes quelque chose ? Bien sûr, j'oubliais... Tu abandonnes tes frères, tu prêtes l'oreille aux paroles de méprisables traîtres, vas-tu dans ces conditions oser la regarder en face ? Elle va bientôt se dresser telle la reine de la nuit, fantomatique et pâle, tu ne pourras pas supporter bien longtemps son insoutenable présence. Tu sais tu n'est pas le premier, notre quête a déjà commencé... Le précédent à perdu la raison, oui, incroyable n'est-ce pas ? Je l?ais forcé à soutenir le courroux de ta déesse, à la renier, il n'en a pas eu la force... mais les faibles doivent mourir, ne penses-tu pas ? C'est bien là ce que ton instinct te dicte, du moins à chaque affrontement...
Lahn avait presque disparu, les nuages avaient désormais une teinte rouge qui se réfléchissait sur les objets métalliques éparpillés sur le sol et donnait une allure irréelle à l'endroit. Ces mêmes nuages dissimulaient en grande partie le ciel comme pour retarder la venue de la lune, une scène de théâtre improvisée en quelque sorte. Le wolfen continuait à fixer les dévoreurs, ignorant le ciel prométhéen, alors que ceux-ci avaient abandonné les restes de leur repas. Tandis que ce groupe arborant des ornements effrayants et des armes dignes de cauchemar se redressait, le dévoreur leur fit signe de les laisser, ce qu'ils firent emportant quelques armes avec eux.
Bien, le moment est proche. Tu souhaites revenir dans ta meute et oublier mes paroles. Je pourrais te laisser faire après tout, le temps joue pour moi, car ce qui est semé finit par germer. Tu ne me suis pas ? Tu n'as jamais vraiment utilisé ta tête, enfin tu crois l'avoir fais. Alors laisse moi te décrive ce qui va se passer...
Le soleil avait disparu, les nuages n'étaient plus que des formes plus sombres dans le ciel, sauf l'un d'entre eux derrière lequel se devinait une lueur, lueur qui devenait de plus en plus vive. L'arrivée de sa majesté la lune était imminente! Les yeux du wolfen roulèrent dans leurs orbites et il émit un gémissement en tentant de se lever. Le dévoreur le saisit par les épaules et le secoua un bref instant.
Restes ici ! Tu ne m'échapperas pas comme ça... là, calme-toi. Je poursuis... Tu fuis cet endroit, bien sûr, c'est ce que tu comptes faire. Tu fuis et parviens chez toi, et là c'est fini, tu oublies et redeviens un grand guerrier, peut être même un prédateur. Hé bien non, ce n'est pas ce qui va se passer, pour moi qui suis éveillé une telle évidence est amusante. Tu vas peut-être oublier, le temps d'une nuit. Si tu supportes son regard, bien évidemment. Mais le lendemain, tu observeras ta meute et tu les verras... Qui ? Ceux qui ont disparu aujourd'hui, qui vont être révérés par ta meute. Tes compagnons, ils partiront en quête de leurs corps. Mais toi tu sauras... ce ne sont pas des héros, ce sont des tas de chair... Si ce n'est nous, d'autres se chargeront de les dévorer.
Du nuage qui seul occupait encore le ciel jaillirent des faisceaux d'une lumière froide, extrêmement glacée. Tels les trompettes annonçant l'arrivée d'un haut personnage, les rayons précédaient la reine de la nuit.
Ferme les yeux si tu le souhaites, il faut parfois se donner du courage. Tes amis tu le sais sont morts pour rien, rien, rien que le néant, pour cette tâche de lumière que tu vas apercevoir. Nous allons la regarder ensemble, tu veux bien ? Tu vas constater tes erreurs, tes errements. Puis dans les jours qui vont suivre, l'idée de tes compagnons morts pour ça va te hanter, te hanter... Alors tu sauras que tu dois la renier. Pour eux tous...
Le vent achève alors de déplacer le nuage, et Yllia rayonne dans le ciel, majestueuse et puissante. Sa lumière éclaire la tête du wolfen dont les yeux étaient clos, le dévoreur l'observe avec une légère anxiété. Cette maudite sensation s'éteint peu à peu en lui mais il n'a pas pu encore s'en défaire malgré tout ce qu'il a vécu. Se reprenant, il tira le wolfen pour qu'il se mette debout mais celui ci garde le regard rivé au sol.
Regarde ! Et écoute ton c?ur !
Le wolfen garda les yeux clos, le dévoreur le regarda un moment puis lui prit violemment la tête et la tira en arrière, avant de frapper sa blessure à la jambe. Sous la douleur le wolfen grogna et ouvrit des yeux écarquillés. Yllia se refléta brutalement sur ses iris, tache blanche au milieu d'un océan de noirceur. L'astre accusateur lui brûlait les yeux, et le poursuivit même lorsqu'il les referma. Se défaisant de l'étreinte de son bourreau, il se mit à courir aussi vite que lui permettait sa blessure, toujours éclairé par la lumière froide et impitoyable venant du ciel.
Cours, cours, le vite possible ! Tu lui échapperas quand tu la verras telle qu'elle est !
Et Tyrias courut, courut...